
par Mounir Kilani
Une plongée ironique, enragée et jubilatoire dans l'imaginaire d'un empire qui vacille, se regarde dans le miroir... et n'y voit qu'une seringue.
Regardez bien cette couverture, chers amis.
Prenez une grande inspiration.
Ce que vous avez sous les yeux n'est pas une prédiction :
c'est une crise de nerfs en haute définition.
Imaginez la scène : il est 4 h 17 du matin, quelque part dans un appartement à 12 millions de livres, à Kensington. Un banquier de la City se réveille en sueur. Il attrape son MacBook. Bloomberg clignote en rouge. Il lit que la Chine vient de lancer trois porte-avions de plus pendant qu'il dormait, que Trump prépare vraiment la fin de l'OTAN, et que les pilules minceur nouvelle génération vont bientôt se vendre plus cher que le baril de Brent. Il tremble. Il ouvre Illustrator. Et, en une heure de panique absolue, il dessine tout ce qui lui fait peur sur une seule page, avant d'aller se cacher sous son bureau en acajou, comme un enfant de cinq ans.
Voilà. C'est fait.
C'est la couverture 2026 de The Economist. The World Ahead 2026* (Le Monde en 2026)
Une boule parfaitement ronde, un doudou géant où ils ont entassé absolument tout le bordel qu'ils ont semé depuis soixante-dix ans.
Regardez ce cercle parfait : missiles, tanks, robots humanoïdes, poing américain étoilé, conteneurs qui coulent, Xi Jinping qui sourit comme un chat qui vient de bouffer la souris, Trump qui négocie déjà la paix par-dessus leurs têtes de diplomates en carton.
Tout y est.
Les guerres perdues.
Les dettes qu'ils ne rembourseront jamais.
Les technologies qu'ils ne contrôlent plus.
Leurs peuples qu'ils ne comprennent plus.
Et même les pilules pour que leurs épouses ne ressemblent plus à l'Amérique moyenne de 2026.
C'est touchant, presque.
C'est le cri d'un petit marquis qui, voyant la foule approcher du château, au lieu de fermer les portes, empile frénétiquement les lustres, les tableaux de maître et les dernières bouteilles de Bordeaux dans le grand salon en hurlant : «Mais regardez, on a encore tout ça !»
Regardez cette boule de Noël cauchemardesque qu'ils nous balancent aujourd'hui.
Au centre : le poing américain écorché, qui serre encore les dents pour la forme.
Et puis, en bas à droite, entre un tank qui coule et des conteneurs qui chavirent... deux seringues.
Pas une. Deux.
Comme s'ils hésitaient sur le dosage de leur Salut Suprême.
L'hostie 2.0, en double ration. Seigneur, prends pitié.
Ils l'ont fait.
Ils ont enfin trouvé le successeur du Christ.
Après avoir exporté la démocratie en bombes intelligentes, la liberté en drones Reaper, la fraternité en sanctions SWIFT, voilà que l'Occident collectif nous apporte le Salut Suprême : une petite injection hebdomadaire qui fait fondre la graisse plus vite qu'un glacier en 2026.
Prenez et mangez-en tous ;
ceci est mon corps... rendu à soixante-huit kilos.
Buvez le sang de la seringue :
c'est du GLP-1, il vous lavera de vos péchés de cheeseburger, de donut et de soda de deux litres.
Le message est limpide :
«Vous avez raté la Rédemption il y a deux mille ans ? Pas de souci, on vous en vend une nouvelle, en abonnement mensuel, 1300 dollars la boîte, breveté par Novo Nordisk et Eli Lilly».
Le plus beau, c'est qu'ils sont sincères.
Pour eux, c'est vraiment ça le progrès ultime de la civilisation :
un monde où l'Afrique crève encore de faim,
où l'Europe de l'Est sert de chair à canon reconditionnée,
où Gaza a été rayée de la carte deux fois plutôt qu'une,
où la planète crame gentiment,
mais où Karen de Washington peut enfin rentrer dans son jean de 2003.
Alléluia.
Ils ont colonisé la moitié de la planète pour du sucre et des épices.
Aujourd'hui, ils sont prêts à se coloniser eux-mêmes pour perdre quinze kilos.
C'est la plus belle revanche de l'histoire : l'Occident obèse qui se suicide à coups d'injections danoises à 15 000 dollars l'année, pendant que le reste du monde mange du couscous, du riz ou du manioc et rigole doucement.
Merci, The Economist.
Merci de nous avoir dévoilé la vraie Sainte Cène de 2026 :
douze apôtres en surpoids assis autour d'une table Pfizer - après avoir remplacé la Cène de Léonard par une drag queen aux JO de Paris, voici désormais la version GLP-1 ;
un Trump en Judas qui brade l'Ukraine pour trente pièces en gaz de schiste et un green à Mar-a-Lago ;
et deux seringues déjà posées sur la table, encore discrètes en bas à droite... mais prêtes à supplanter la croix dès que le poing américain aura fini de saigner.
Mangez, mes frères.
Ceci est la dernière religion de l'Occident : le culte du corps parfait dans un empire en ruine.
Alors courage, les gars.
Prenez vos pilules minceur nouvelle génération.
Ça ne vous fera pas rajeunir l'empire, mais au moins vous rentrerez dans les costards de vos grands-pères - ceux qui dirigeaient vraiment le monde quand il était encore rond et pas en train de leur exploser à la figure comme une boule de Noël trop chargée qu'on secoue une dernière fois avant de la jeter.
2026 sera l'année où on arrêtera enfin de faire semblant de les écouter.
L'année où on regardera leur boule de panique, leur doudou de fin du monde, leur hostie injectable, et où on haussera les épaules.
Parce qu'en vrai, on est déjà éveillés.
On n'a pas besoin de leur nouveau dieu en seringue.
On a la mémoire longue, la colère juste, et la certitude tranquille que l'histoire, cette fois, ne passe plus par Londres.
Derrière ces deux seringues - encore timides, encore en bas à droite, mais déjà incontournables - et ce poing américain mollasson et écorché, se cache Andrew Rae, illustrateur britannique du Peepshow Collective, qui a transformé la panique de The Economist en un véritable doudou géopolitique pour 2026.
Avec ce qu'Andrew Rae a touché pour dessiner l'effondrement de l'empire, il peut s'offrir un an de cafés londoniens sans sucre... et garder assez pour un billet aller simple vers un pays où l'on n'a pas besoin d'Ozempic pour rester mince.
Pendant que leur empire s'effondre en hurlant, nous, nous sirotons notre café tranquillement, sans leur sucre empoisonné.
Un café noir et épais comme la fumée qui s'élève des ruines de leur empire.